avril 28, 2024

La reine du musée

Le centenaire de la naissance d'Irina Antonova marque non seulement l'anniversaire de la femme la plus influente de son époque dans la sphère muséale russe, mais de l’activité muséale elle- même en Russie. Irina Alexandrovna a raté de deux ans un tel jubilé, ayant vécu 98 années intéressantes et mouvementées. 

Bien connue parmi les cercles français d’historiens d’art, elle y fut considérée pendant des décennies comme l'une des principales autorités soviétiques et russes en matière d’art. Les Français savaient l’ampleur des efforts que Irina Antonova déployait pour que des toiles d'Europe puissent être régulièrement exposées en URSS. On lui doit le succès légendaire des « tournées » soviétiques de la Joconde. 

Irina Antonova aimait beaucoup Paris, profitant de chaque occasion pour enrichir mutuellement les cultures de nos pays. Son langage clair et expressif transformait chaque rencontre avec elle en une interview toute prête. Maintenant, à l'occasion du centenaire, notre rédaction souhaiterait partager quelques extraits d'une conversation avec cette "impératrice" de l'œuvre muséale, enregistrée en 2010.

 

I.A. Quant aux découvertes mutuelles futures, il reste encore des « continents » entiers de l'art français du XIXe siècle que les Russes n'ont jamais encore vu. Par exemple, nous serions ravis de présenter une exposition de maîtres comme Ingres, Courbet, Edouard Manet, Millet.

De plus, personnellement j'aime beaucoup les expositions dédiées à l'architecture ; il serait intéressant de faire quelque chose de similaire consacré à la France. Je voudrais aussi ajouter qu'à nos soirées de décembre, qui fêtent cette année leurs 30 ans, sont très souvent jouées des musiques françaises, et à chaque fois on découvre quelque chose de nouveau, de méconnu. 

Envisagez-vous de réaliser ce que vous aviez évoqué un jour : la création d'un département d'art contemporain ? Bien que si vous le faisiez, tout le monde commencera sûrement à critiquer le musée d’avoir préféré tel ou tel artiste.

 

I.A. Bien entendu, le musée doit certainement développer cet axe, mais je veux dire que comprendre et évaluer correctement l'art de son temps est l’une des tâches les plus difficiles. Pourquoi admirons-nous nos grands collectionneurs tel que Sergei Shchukin et Ivan Morozov ; car ils ont autrefois deviné le talent et la grandeur de ces artistes qui n'ont été reconnus que plus tard. Parmi eux, Picasso et Matisse. D'ailleurs, ils l'ont deviné quand même les Français refusaient de les acheter. Voir, refusaient de les prendre gratuitement, comme ça a été le cas par exemple avec la merveilleuse collection de Caillebotte, que le Louvre n'a pas voulu accepter en cadeau, car il ne l'avait pas jugée de son niveau.

La transformation d'un artiste inconnu en artiste de musée est tout un processus : un processus de qualification, de compréhension, d’imprégnation émotionnelle. Tout le monde peut commettre des erreurs, mais le temps nous permet déjà dès à présent d'évaluer certaines périodes. En même temps, nous voyons autour de nous une énorme quantité de produits - tel quels je les appellerais- qui un jour disparaîtront à jamais. C'est juste une évidence. Mais il en restera certainement quelque chose, ne serait-ce qu'à titre d'exemple des efforts qui avaient été fournis pour traduire son époque via l’art. Il est nécessaire d'observer attentivement et d'étudier tout ce processus.

Si on parle de moi personnellement, il est tout à fait logique que j'aie ma propre évaluation et ma propre compréhension de ce qui se passe. Et il faut admettre que le processus qui s'est mis en place ces derniers temps est plus attristant qu'encourageant. Peut-être que ce que nous appelons l'art est en train de mourir. 

Un très grand nombre de produits sont apparus qui démontrent un autre type d'activité créative. Je perçois ce qui se passe avec respect et je ne pense généralement pas que l'artiste essaie de se montrer « original » uniquement pour subvenir aux besoins de quelqu’un. Mais pour tous ces produits, il est nécessaire de trouver un nom différent.

 

— Léonard de Vinci utilisait jusqu'à 20 couches de peinture pour obtenir son effet sfumato. Aujourd’hui, tout propriétaire d'ordinateur peut faire la même chose en une demi-heure et imprimer le produit fini. Tout cela a grandement nivelé les critères de maîtrise. Picasso lui-même peignait presque aussi bien avec sa main droite qu'avec sa main gauche, alors que désormais la plupart des artistes ne prêtent plus du tout attention aux bases du métier. Peut-on dire que l'art dégénère en performance ?

"C'est en partie le cas. Il existe maintenant un grand nombre d'opportunités qui n'existaient pas auparavant. Peut-être que la voie de la connaissance qui était jadis acquise par l'art au sens classique est épuisée. Cette direction est née autrefois du désir de l’humain de reproduire la nature. Cela étant, l’autre problématique est que l'image n'a jamais été et ne pourra jamais être une copie conforme de l’existant, ça a toujours été une manière de traduire la réalité. C'est le sens de l'art. Le véritable art n'a jamais été naturaliste. Une peinture de Vermeer, avec tous ses détails soigneusement travaillés, est une grande transformation poétique. C'est la beauté et la puissance de l'art. Pourquoi ce chemin semble-t-il épuisé aujourd'hui ? C'est une question qui mérite d’être creusée séparément.

Quelque chose d'autre est en train de naître sous nos yeux. Il est déjà né, et nous nous obstinons constamment à le décrire avec des concepts auxquels ce phénomène n’est pas apparenté. Lui-même veut s'y accrocher, "se blottir" à la compréhension classique de l'art, mais il n'a tout simplement pas besoin d’aller dans cette direction. Ce phénomène doit être séparé et jugé par des lois complètement différentes. Selon les critères de ce genre de produit. Alors tout deviendra un peu plus clair.

Heureusement, dans la plupart des cas, ces produits ne sont pas considérés comme du grand art. Sinon, toutes les exigences psychologiques et esthétiques de l’art devront lui être imposés, ce à quoi ils ne résistent généralement pas. Cela n'a rien à voir avec les œuvres d’art. Il est impossible d'adresser à l'art contemporain des exigences qui n'ont rien à voir avec lui. Ce n'est pas correct. De plus, vous devez vous débarrasser de l'irritation, qui conduit à la partialité dans le jugement.

Vera Medvedeva

https://rusmir.media/2010/09/01/talant  

 

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