mai 11, 2024

La puissance du Soleil sur Terre 

En France, au Centre CEA de Cadarache près de Marseille, se joue aujourd'hui l'avenir de toute l'humanité. Ce n’est pas une exagération, car le projet international de réacteur de fusion ITER marque le début d’une nouvelle ère énergétique. En cas de succès, l'énergie provenant de la fusion nucléaire, inépuisable et pratiquement sans danger, transformera en réalité les rêves les plus fantastiques de l'humanité.

L'accord international signé en 2006 regroupe 35 pays: les 27 membres de l'Union européenne, la Russie, les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud, la Chine et l'Inde. Dans quelle mesure les scientifiques des pays membres sont-ils proches d’une utilisation industrielle de l'énergie thermonucléaire ? Anatoly Krasilnikov, directeur de la division russe d'ITER, docteur en sciences physiques et mathématiques, raconte

- -- Prenons immédiatement le "taureau thermonucléaire par les cornes" : "Quand est-ce qu’il y aura une réelle chance de passer à une nouvelle ère énergétique sous le signe du thermonucléaire ? »

Fin 2025, les pays membres d’ITER prévoient d'effectuer un test complet de tous les systèmes. C'est ce que nous appelons "obtenir le premier plasma". Dans ce contexte, le premier plasma n'est pas une fin en soi, mais une preuve que les systèmes fonctionnent comme prévu.

Il convient de noter que, parallèlement au projet ITER, les partenaires travaillent à la conception de l'étape suivante, le réacteur de démonstration DEMO.

Le projet ITER est une expérience scientifique et technologique ; son objectif est de résoudre les questions d'ingénierie concernant la conversion de l'énergie thermonucléaire en une forme directement utilisable. DEMO quant à lui, doit non seulement fournir une réaction thermonucléaire, mais aussi la convertir en énergie électrique et thermique. De tels travaux dans la plupart des pays partenaires sont prévus pour 2040-2050.

- Si les dates d'une éventuelle utilisation industrielle ont déjà été déterminées, peut-on définitivement affirmer que l'avenir de l'humanité est bien l'énergie thermonucléaire ? Ou de diverses surprises nous attendent-elles en cours de route ?

Les "pièges", bien sûr, seront là, et beaucoup d'entre eux sont déjà visibles aujourd'hui. C'est pourquoi ITER est un réacteur thermonucléaire expérimental, car il faut non seulement obtenir le plasma, mais aussi démontrer que l'on peut le maintenir pendant une durée suffisamment longue. Cette tâche scientifiquement et techniquement difficile est l'un des principaux objectifs du projet ITER. 

Cependant, chaque personne travaillant dans le cadre de ce programme est convaincue de pouvoir obtenir le résultat nécessaire. Et l'humanité aura alors entre les mains un modèle de réacteur thermonucléaire qui nous permettra de véritablement discuter d’une application industrielle de masse.

Nous travaillons sur une configuration en forme de tokamak (une chambre toroïdale avec des bobines magnétiques). Il s'agit d'une invention soviétique, sur la base de laquelle la planète entière tente aujourd'hui de s'engager dans un nouvel avenir énergétique.

Pour les experts, il ne fait aucun doute que la fusion est l'énergie du siècle prochain. Tous les autres secteurs de l’énergie utilisent soit des ressources non renouvelables, comme les énergies fossiles, ou dont la disponibilité varie fortement, si on parle d'énergie solaire ou éolienne, ou qui ne sont applicables que localement, comme c’est le cas pour l’hydraulique. 

L'humanité a besoin d'une source d'énergie indépendante des facteurs externes, inépuisable en termes de combustible et, en outre, sûre. À tous ces égards, l'énergie thermonucléaire présente des avantages uniques.

Il n'y a pas de problème d’approvisionnement en deutérium et tritium sur Terre. Le réservoir de deutérium est l'océan, et nous pouvons fabriquer du tritium à partir du lithium, qui est en abondance dans la nature. Si nous parlons de sécurité et de pérennité dans le temps, alors il faut savoir que la fusion ne produit pas de déchets radioactifs de haute activité et à longue durée de vie, ils n'existent tout simplement pas.

La fusion du deutérium et du tritium donne l'hélium 4 et des neutrons, que nous convertissons par la suite en énergie. L'hélium n'est pas radioactif, et les neutrons, bien qu'ils constituent des rayonnements ionisants, sont cantonnés à l'intérieur du réacteur de fusion, à proximité immédiate du plasma, dans le hall blindé. 

Lorsque l'utilisation des composantes du réacteur à fusion dépasse un certain seuil, elles sont remplacées et transférées vers l'installation de stockage. C'est dire qu'il n'y a pas de problèmes techniques sur ce plan. 

De plus, dans un réacteur à fusion, la probabilité d'une explosion est absolument exclue. Dans le cas de l'énergie thermonucléaire, il n'existe tout simplement pas de mécanisme interne pouvant conduire à une explosion. Le plus gros des accidents pourrait juste provoquer l'extinction du réacteur. Il faudrait alors le redémarrer. Mais le risque d'une explosion qui menacerait tout ce qu’il y a autour n’existe pas.

- Réjouissons-nous de cette merveilleuse source d'énergie. Cependant, le premier tokamak a été créé en Union soviétique il y a longtemps. Alors pourquoi ne sommes-nous pas encore passés à l'usage industriel ?

Le premier réacteur magnétique a été proposé par Andrei Dmitrievich Sakharov en 1950, date à laquelle Staline a signé un décret autorisant le lancement des travaux sur la fusion thermonucléaire contrôlée.

L'idée révolutionnaire de Sakharov était de contenir le plasma sous la forme d'un tore. La première machine a été construite en 1951, ouvrant la voie à la construction d’une série de tokamak. L'Institut Kurchatov en a fabriqué vingt en 25 ans.

C'est alors que les principaux problèmes sont devenus évidents. Lorsque vous tenez un corps solide dans votre main, il a trois degrés de liberté, il peut bouger à droite et à gauche, en haut et en bas. Mais lorsqu'il s'agit de retenir le plasma, chaque ion et chaque électron sont libres. En d'autres termes, chaque particule de plasma possède ses propres trois degrés de liberté, et si vous y ajoutez la rotation, c'est encore plus.

Multipliez-le par un nombre énorme de particules et imaginez comment contenir tout cela ? Au début du "thermonucléaire", le problème du confinement magnétique semblait tout à fait soluble, mais au fur et à mesure de l'avancement des recherches, il a été mis en évidence que de plus en plus d’instabilités apparaissaient dans la formation du plasma. Les scientifiques ont progressivement appris à les stabiliser. Il a fallu des décennies pour y arriver. 

Soixante-dix ans se sont écoulés depuis la conception du premier réacteur à fusion, et nous en sommes toujours au stade de confinement du plasma. Le plasma de fusion du projet ITER sera le premier pour lequel un chauffage par particules alpha sera déterminant. En fait, nous obtiendrons la première formation de plasma confiné et chauffé par ses propres particules alpha. 

Je dirai même plus, nous parlons en quelque sorte d'un nouvel état de la matière. Dans un plasma à 300 millions de degrés de température, il y a aussi un groupe de particules super chaudes qui accroissent encore plus l'instabilité de ce plasma. Dans le cadre du projet ITER, l'humanité sera confrontée pour la première fois au confinement du plasma lui-même et de ce groupe spécifique de particules énergétiques. C'est précisément la mission singulière d'ITER.

- Pour essayer de mieux conceptualiser la complexité du problème scientifique, à quel point ce plasma est – il plus chaud que notre Soleil ?

Dix fois plus chaud ! Mais ce n'est pas la seule difficulté. Sur le Soleil, le plasma est maintenu en place par le champ gravitationnel, car notre Soleil est un objet spatial énorme et lourd. Ses forces gravitationnelles empêchent le plasma de s'envoler dans différentes directions.

C'est pourquoi le plasma y brûle pendant des millions d'années et ne s'échappe pas. Nous, nous ne disposons pas d'un luxe tel que le confinement gravitationnel, car l'objet est très petit. Sakharov avait suggéré de retenir le plasma par un champ magnétique. 

C'est ce système que nous devons perfectionner, car nous ne devons pas laisser la moindre particule de plasma éclabousser les parois du réacteur. Il n'existe aucun matériau dans la nature qui puisse résister à une température dix fois supérieure à celle du Soleil. Tout mur fondrait et s'évaporerait immédiatement.

Comme il est impossible de contenir un plasma à 300 millions de degrés par quelque chose de matériel, on a alors décidé d'utiliser quelque chose de tout à fait différent pour arriver à cette fin - un champ magnétique. Toutefois, dans ITER, ce champ est créé par un système magnétique supraconducteur. Je vous rappelle que la température à laquelle la supraconductivité est assurée est de 5 kelvins, c'est-à-dire moins 268 degrés Celsius. Ce genre de froid dans la nature ne se trouve que dans l'espace.

Imaginez un système dont la température est de 300 millions de degrés Celsius et un système dont la température est de moins 268 degrés Celsius, adjacents dans une seule et même installation. Et que la distance entre eux n'est que de trois mètres.

- Ce n'est même plus une question de faire coexister le feu et la glace, mais quelque chose d'amplifié par un million. 

Oui, et nous devons assurer cette coexistence, afin qu'en aucun cas le plasma chaud ne conduise à ce que la température du supraconducteur devienne non pas 5 kelvins, mais sept. Cela signifierait déjà un accident.

- Moins 268 ou moins 266, cela dépasse l'entendement humain.

Oui, c’est infiniment froid et proche du zéro absolu. Mais pour un conducteur, 5 kelvins est la température de la supraconductivité, tandis que 7 kelvins signale une transition vers une phase normale, ce qui est inacceptable pour le fonctionnement d'un réacteur.

- Les tâches auxquelles sont confrontés les scientifiques sont fantastiques, mais je n'ai pas pu ne pas noter vos propos sur le stockage des déchets. C’est un point que les écologistes ne manqueront pas également de relever. 

Les déchets radioactifs se présentent sous de nombreuses formes. Certains d'entre eux sont très dangereux pour les personnes, et leur stockage est très problématique. Dans le cas de la fusion, la mise en activité de structures à proximité du plasma entraîne également une radioactivité, de sorte que des parties du réacteur doivent être isolées pendant plusieurs décennies après leur remplacement.

Cependant, nous parlons d'un très petit nombre de structures et, dans le cas d’ITER, elles sont constituées d'un matériau permettant une baisse rapide de la radioactivité. Par conséquent, la question du stockage des déchets ne devrait en aucun cas déranger les écologistes raisonnables.

- Peut-on simplifier et dire qu'après vingt ans de stockage, il est possible, sans risque, de fabriquer des casseroles à partir de pièces du réacteur de fusion ?

Certaines d'entre elles pourrons être réutilisées, d'autres devront attendre plus longtemps.

- Si l'Union soviétique a été un pionnier de l'énergie thermonucléaire, pourquoi le réacteur est-il construit en France ?

L'ensemble de la communauté internationale construit le réacteur, trente-cinq pays en tout. Le président français Jacques Chirac a fait pression dans une certaine mesure, bien sûr, mais ce n'est pas la France qui a pris la décision. Dans un premier temps, la Russie a également proposé son site dans l'oblast de Leningrad, mais elle a ensuite retiré son offre.

Le fait est que celui qui propose le site doit contribuer au coût du projet à hauteur de 5/11. Tous les autres doivent payer 1/11. Par conséquent, pour des raisons économiques, il a été décidé de ne pas insister pour construire le site en Russie. La compétition pour le site était entre le Japon et l'Union européenne.

- N'êtes-vous pas déjà accablé de questions sur de possibles attaques terroristes ? Si dans un demi-siècle, il y aura des centrales thermonucléaires dans le monde entier, ne deviendront-elles pas une nouvelle cible ?

Tout d'abord, il n'y a rien à faire exploser dans une centrale thermonucléaire, et rien à y faire exploser non plus. Le deutérium existe partout dans la nature, tel quel. Le tritium est synthétisé, mais il est en si petite quantité que si quelqu'un le faisait fuiter, l'élément se dissoudrait immédiatement dans l'atmosphère. Il est pratiquement impossible d’orchestrer une catastrophe.

- Si nous pouvons être sereins vis-à-vis de ce « scénario », quel regard portez-vous sur d’autres utilisations imaginées de l’énergie thermonucléaire ? Par exemple Hollywood a récemment tourné un film de science-fiction dans lequel des astronautes, à l'aide d'une réaction thermonucléaire, doivent « redémarrer » le Soleil qui se refroidit et ainsi sauver la planète.

"Redémarrer" le Soleil est impossible, laissons Hollywood s’en occuper. Même s’il est vrai qu’il s'éteindra un jour, cela ne se produira que dans des centaines de millions ou des milliards d'années. Durant cette période, il peut se passer tellement de choses qu’on ne peut pas aujourd’hui sérieusement discuter de cette problématique. Cependant, il est déjà possible de parler du fait qu'à un moment donné, l'humanité aura peut-être besoin de coloniser d'autres planètes.

Et quel type d'énergie permettra d'assurer les vols et le déploiement des colonies là-bas ? Quel type d'énergie permettra de chauffer les habitants de ces colonies et d’alimenter toutes les infrastructures vitales ? A part le thermonucléaire, aucune autre énergie ne semble viable. Sans énergie thermonucléaire, l'humanité n'a aucune perspective de développement sur d'autres planètes.

- En fait, vous travaillez maintenant non seulement pour assurer l'avenir de l'humanité sur Terre, mais aussi dans l'espace.

Oui, l'énergie thermonucléaire assurera l'expansion de l'humanité non seulement dans l'espace, mais aussi, par exemple, dans les abysses des océans. Nous ne connaissons pas notre propre planète jusqu'au bout, nous n’avons pas encore exploré toutes les profondeurs de l'océan. Si nous le souhaitions, par quels moyens pourrions-nous descendre là – bas ? Seulement grâce l'énergie thermonucléaire !

PHOTO©:  Fusion For Energy (F4E)

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