mai 20, 2024

"L'essentiel pour un interprète est de ne pas perdre le plaisir de se produire devant un public"

 

Déjà chanteuse bien connue, Christelle Loury a pour la première fois de sa vie participé au festival concours international de chansons patriotiques russes « The Road to Yalta » en 2020 et a immédiatement remporté la première place, partagée avec un chanteur italien. Le festival a permis à Christelle de toucher encore plus le cœur des téléspectateurs russes.

- Les membres du jury du festival « Road to Yalta » vous connaissaient-ils avant de vous écouter à la demi-finale ?

Je ne sais pas s’ils me connaissaient avant, peut-être, mais nous nous sommes rencontrés pour la première fois en video-conférence pour la demie finale, puis je les ai rencontrés physiquement à Yalta pour la grande finale.  J’ai rencontré le président du jury Lev Leshchenko, lors de la conférence de presse et je lui ai chanté a capella un petit air d’Edith Piaf en lui tenant les mains, c’était très émouvant.

- Lorsque les résultats ont été annoncés en direct, il y avait un peu de confusion et on ne savait pas vraiment qui avait gagné. Comment avez-vous vécu ce moment ?

Il s'est avéré qu'au dernier moment, le jury a décidé de répartir les prix entre plusieurs artistes. Bien sûr, j'étais extrêmement inquiète, je n'ai pas compris tout de suite. Et c'est l'actrice et présentatrice Ekaterina Guseva, avec qui j’avais chanté en duo la chanson «Nous avons besoin d'une victoire», qui m'a dit tout bas en anglais «Tout va bien ! Tu as gagné !"

- Les paroles de cette chanson se sont révélées prophétiques !

C'est une chanson incroyable, elle m’a été recommandée par mon amie russe Liudmila Longinova. Le Centre de la Russie pour la Science et la Culture à Paris m’a beaucoup aidé à ma participation au concours. Ils ont aussi travaillé avec l’auteur Christine Zeytounian-Beloüs pour la traduction française de la chanson. Cette chanson évoque en moi de telles émotions que lorsque nous avons chanté à Yalta avec Catherine, je n'ai pas pu retenir mes larmes.

En chantant cette chanson du film soviétique «Belorussky Vokzal», j'ai voulu rendre hommage à tous les héros de votre pays, ainsi qu'à mes grands-parents, parmi lesquels se trouvaient des résistants.

Ma grand-mère paternelle a combattu parmi les résistants du groupe des Maquisards, et ma grand-mère maternelle a caché des Juifs persécutés dans la forêt pendant plusieurs mois. Deux fois par semaine, afin de leur apporter de la nourriture, elle faisait une trentaine de kilomètres à vélo, au risque d'être capturée. Après la guerre, les organisations juives voulaient lui remettre une médaille, mais ma grand-mère a refusé, et a dit « je n’ai pas fait cela pour une médaille, tout le monde aurait dû faire comme moi ».

Mon grand-père maternel a passé cinq ans dans un camp de travail en Allemagne. Plus tard il a dit à sa famille, que la musique l'avait sauvé là-bas. Il avait eu le droit de jouer de l'accordéon et de l'harmonica, et c'est ce qui l'a aidé à survivre.

- Avec une telle histoire de famille, je pense que vous n'aviez aucun doute lorsque vous avez été invitée à participer au concours du 75e anniversaire de la Victoire ?

Oui, exactement ! Je trouvais l’idée de ce festival international formidable. Faire chanter de belles chansons patriotiques russes à des artistes de tous les pays, dans leurs langues maternelles, c’était très fort ! Mais je voulais aussi penser à tous les hommes et les femmes russes qui sont morts dans la grande guerre de 39-45. Ces dernières années, j’ai remarqué que les médias européens et même certains pays évoquent la victoire sur l'Allemagne nazie en soulignant constamment le rôle primordial des États-Unis.

Ils oublient souvent ou ne veulent pas se souvenir que le peuple soviétique a subi les plus grandes pertes dans cette terrible guerre et que c'est aussi en grande partie grâce à lui que le fascisme a été vaincu. Je pense qu'il est très important que les Européens ne l'oublient pas.

- Votre cœur artistique appartient depuis longtemps aux chansons d'Edith Piaf. Comment est né cet amour ?

Quand j'avais 17 ans, mon petit ami m'a fait écouter la chanson "L’homme à la moto". Elle m'a fait une si forte impression que je l'ai écoutée plusieurs fois, J’ai ensuite voulu connaître cette grande artiste. J'ai commencé à m'intéresser au travail et à la vie d'Edith Piaf, j'ai écouté toutes ses chansons, lu tous les livres sur elle, regarder tous les films. J’ai ressenti dans sa voix ses souffrances et sa passion pour le chant. Edith Piaf a touché mon âme pour toujours.  

Ce n'est que plusieurs années après cette découverte, que j’ai créé un spectacle qui rend hommage à Edith Piaf car j’attendais d’être prête et d’avoir vécu moi aussi des blessures dans ma vie pour bien chanter ses chansons. Ce spectacle s’appelle « Revivre l’émotion Edith Piaf ». Je me souviens de la première représentation. J’ai eu une révélation devant le public et ma voix était encore plus puissante et j’ai donné tout mon cœur. Ce jour-là, ma carrière a pris une nouvelle direction et j’ai connu beaucoup de succès ensuite. Le public m’a dit que mon spectacle était très beau et que mon interprétation des chansons d’Edith Piaf étaient très émouvantes. En France, je suis aujourd’hui considérée comme l’une des meilleures interprètes de Piaf.

Avec mon spectacle je ne cherche pas à imiter Edith Piaf, je reste Christelle, c’est très important pour moi. Ce que je veux, c’est que le public ne l’oublie jamais et qu’il redécouvre l'histoire d'Edith Piaf, son amour de la vie, sa souffrance, sa soif de vivre mais aussi sa foi en Dieu qui l’a aidé à surmonter toutes les épreuves, c’est pour cela que je chante aussi dans les églises, je suis croyante moi-même. 

 - Les Russes aiment tellement les chansons de Piaf qu'ils pensent que tous les Français la connaissent depuis l'enfance. Vous, vous lavez découverte à l'âge de dix-sept ans ?

Bien sûr, tout le monde connaît le nom d’Edith Piaf et ses chansons les plus célèbres, mais les nouvelles générations ont grandi avec leurs propres idoles, souvent sans savoir à quel point Edith Piaf est un trésor musical et combien sa vie a été tragique. 

Le premier succès d'Edith date de 1936 et a connu son apogée artistique dans les années 50. C'est pourquoi il est si important pour moi de montrer à la jeune génération, à travers mon spectacle, qui elle était, comment elle a surmonter les drames de sa vie et ce qu'elle a apporté à la chanson française. Après le spectacle, les jeunes me disent souvent «Nous n’en n’avions aucune idée ! Quelles chansons incroyables ! Quelle vie ... "

- Les chansons d'Edith Piaf sont étonnamment intemporelles. Elles sont toujours écoutées. Comment cela se fait-il selon vous ?

Oui, les chansons et le style d'Edith Piaf ne vieillissent pas. Beaucoup d’artistes dans le monde continuent de chanter ses chansons ou s’inspirent de son style. On l’a vu récemment à l'Eurovision 2021, avec la candidate française, qui a terminé à la deuxième place, elle avait repris le style d’Edith, habillée en noir, toute seule sur la scène, utilisant ses mains en chantant. Le refrain de sa chanson ressemble beaucoup à « Padam, Padam » d’Edith Piaf. 

Chaque chanson d'Edith racontait une histoire, elle trouvait toujours un écho  auprès de ses auditeurs. Piaf incarnait ce que l'on pourrait appeler «l'art de la chanson». C’est peut-être pour cela que les Russes l'aiment tant car dans votre pays, cet art a également été développé par des artistes étonnants.

Mais je crois surtout que les chansons d’Edith Piaf sont intemporelles car Edith est devenue une vraie icône de la chanson dans le monde et il n’y a plus d’icône comme elle et il n’y en aura plus jamais.

- Lorsquon lit les paroles des chansons d'Edith Piaf, elles sont souvent perçues comme très simples, voire évidentes. Et quand nous écoutons la chanson, nous subissons une sorte d'influence magique, quen pensez-vous ?

Edith Piaf, racontait à travers ses chansons quelque chose sur sa vie personnelle. Quand Edith chantait, le public le savait. Elle partageait ses émotions et se donnait totalement dans ses chansons. Par exemple, quand Edith a écrit la chanson « L’Hymne d'Amour » elle l’a fait en pensant à son grand amour Marcel Cerdan. En 1960, trois ans avant sa mort, Edith a chanté « Mon Dieu » d’une façon bouleversante en se rappelant son amour perdu.

Autre exemple, avec la chanson "Mon manège à moi, c’est toi". Edith raconte au public sa nouvelle histoire d’amour avec un beau jeune homme, ou encore la  chanson « La foule » qui lui rappelait sa tournée en Amérique du sud. Pourquoi, par exemple, la chanson "Plus bleu que le bleu de tes yeux" fait-elle partie de son répertoire ? Parce que Charles Aznavour savait que dans la vie, Edith avait un nouvel amant qui avait les yeux très bleus. Charles a écrit une chanson merveilleuse, et quand Edith l'a interprétée, elle a exprimé ses sentiments. Le public est immédiatement tombé amoureux de cette chanson.

Edith a toujours choisi ses chansons par rapport à ses pensées intérieures et le public l'a parfaitement compris.

Presque toutes les chansons de Piaf étaient associées à certains événements de sa vie personnelle. Et quand un artiste talentueux exprime son âme à travers une chanson, cela ne peut pas laisser le public indifférent.

- Nous savons tous combien la vie personnelle d'Edith Piaf a été difficile. Heureusement, vous et votre mari êtes ensemble depuis vingt ans. Cest votre manager, il est toujours dun grand soutien et attentionné. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Pierre est un photographe professionnel et joue également très bien de la guitare. Il avait créé un groupe de musique et il cherchait une soliste, c’est là que nous avons commencé à nous produire ensemble.

Au début, nous n'étions que des amis, pendant presque cinq ans. Après une si longue amitié, nous avons soudainement réalisé que c'était bien plus que de l’amitié entre nous deux. Pierre m'a demandé de l'épouser, et depuis nous ne nous sommes jamais quittés.

- Est-ce que vos deux fils et votre fille aiment aussi la musique?

Oui mes enfants sont mélomanes, ils écoutent tout le temps de la musique. Ma fille, joue du piano et de la guitare.

- Comment faites-vous pour rester aussi mince après avoir eu trois enfants ?

Merci le chant ! Le chant permet de rester en forme, d’être de bonne humeur et avoir une pensée positive. Je dis toujours à tout le monde "Chantez plus dans la vie ! Au moins pour vous-même, à la maison ou sous la douche ! ». Quand une personne chante, tout son corps apprécie et cela apaise le cœur, l'esprit et n'apporte que du bien-être.

- Quand votre "romance" avec la Russie a-t-elle commencé?

Une fois, un ami m’a invité à une conférence d’Alexandre Orlov qui était ambassadeur russe de l'époque en France, mais mon ami n'a pas pu faire les présentations, alors j'ai rassemblé mon courage, je me suis approché de monsieur l’Ambassadeur et j'ai dit "Monsieur l'Ambassadeur, je chante les chansons d'Edith Piaf, j'aime la Russie et je veux chanter en Russie !"... Il était très surpris et il a souri. Et étonnamment, il s'est avéré, à cette époque, que l'ambassade de Russie à Paris préparait une grande soirée dédiée à Edith Piaf pour les 100 ans de sa naissance et cherchait une chanteuse. L’ambassadeur a écouté mes vidéos et lui et son équipe ont très apprécié mon travail.

J'ai donc chanté pour la première fois dans le beau et grand théâtre de l’ambassade russe à Paris avec beaucoup d’invités célèbres. C’est à partir de ce moment que j’ai commencé à aller chanter en Russie et faire des tournées à Moscou, Saint-Pétersbourg, Vladimir, Kalouga, Kalinigrad…tout était et est toujours incroyable en Russie !

Je reçois aussi beaucoup de soutien du nouvel ambassadeur russe en France, Alexeï Mechkov, afin de continuer à pérenniser les relations d’amitiés culturelles franco-russes. Pour moi c’est très important et je l’en remercie, car la France et la Russie ont beaucoup à partager. 

À chaque voyage en Russie, je découvre votre merveilleux pays, son histoire, sa magnifique architecture et surtout ses églises étonnantes. Je suis toujours profondément émue par l’accueil du public à mon égard et par son amour  pour la chanson française.

- Quels moments de vos tournées en Russie vous ont le plus touchés ?

Lorsque je suis venue à Vladimir pour la deuxième fois, un artiste peintre local talentueux, Igor Rodionov, m'a offert mon portrait. Absolument magnifique ! Il a mis du temps et du talent dans son travail et a commencé à peindre juste après mon départ lorsque j’étais venue à la première tournée.

J'aime aussi la tradition russe qui consiste à offrir des fleurs aux artistes. En France, malheureusement, cette tradition est en train de disparaître, elle se fait de moins en moins. Je pense souvent à toutes ces fleurs incroyables que j’ai reçues en Russie. Inoubliable ! J’ai aussi de très bons souvenirs de la gastronomie russe mais aussi du pain avec le sel que l’on m’offrait dans chaque nouvelle ville ou encore les chants et les danses d’enfants spécialement pour moi, c’était fabuleux et très touchant !

- Vous avez parfaitement réussi à chanter les chants de guerre qui sont si chers aux Russes. Cela signifie que vous avez pu ressentir l'âme russe, si difficile à décrire avec des mots.

Je me suis dit que je devais commencer à apprendre le russe. Et ça m'aide à apprendre de nouvelles chansons. Maintenant, j’ai six chansons en russe dans mon répertoire et, croyez-moi, c'est très important pour moi. Ma chanson préférée est votre hymne national, je la trouve si belle et je sais la chanter en russe en entière !

Je réfléchis pour plus tard à travailler sur des chansons de la romance russe, vous avez en Russie de si belles chansons. C’est un projet que j’aimerais concrétiser. On verra !

- Christelle, à quel âge avez-vous réalisé que vous vouliez devenir chanteuse ?

À dix-huit ans. Quand j'étais petite, je grimpais sur une chaise avant les repas de famille et je chantais. J’aimais aussi danser et faire des acrobaties. Cependant, mes parents ne voulaient pas du tout que je devienne une artiste, car ils avaient peur que ce soit une profession très instable. Ils m'ont encouragé à étudier et je n’ai pas pensé à une carrière artistique pendant longtemps.

Cependant, à l'âge de dix-huit ans, j'ai réalisé que je voulais chanter et en faire mon métier. J’ai commencé à chanter comme amateur dans le groupe de mon futur mari mais je voulais réaliser un jour ce rêve et j’ai réussi à le faire ensuite comme professionnelle.

- Beaucoup de gens talentueux ont peur de franchir le pas et de devenir des chanteurs professionnels. Quels conseils leur donneriez-vous ?

Il faut avoir confiance et tenter l’expérience. Il faut trouver une idée de spectacle. Il me semble aussi que le principal plaisir pour eux devrait être de se produire devant un vrai public même s’il est petit au début. Il ne faut pas rêvez pas tout de suite d'une audience télévisée et d'une carrière rapide si on veut faire ce métier toute sa vie, car le plus difficile c’est de durer dans le temps et de garder un public fidèle. Il faut aussi construire un réseau. C'est l'essentiel du métier de chanteur. Il faut être capable de chanter pour 50 personnes ou pour 50 000 personnes. 

Il est également très important d'avoir une idée des chansons qui vous conviennent en termes de voix et d'émotion afin de pouvoir chanter avec le cœur.

Lorsqu'un interprète est sincère sur scène, le public le ressent toujours. Et s’il réussi à captiver le public, alors il a gagné. Bien sûr après, il peut y avoir de grandes salles et la télévision, mais alors l’artiste entre dans un monde complètement différent, avec beaucoup de pression aussi. 

De nombreux artistes célèbres font tellement de tournées qu'ils n'ont absolument plus le temps pour leur famille, ils deviennent une sorte de "produit commercial".  Il faut définir ce que l’on veut vraiment comme carrière et garder toujours le plaisir du partage avec un vrai public. Moi c’est ce que j’ai toujours fait avec mon public et lui et moi on adore !

 

PHOTO ©:Piere Loury

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